L'oeil en coin
Le regard se pose
Un temps
Sur l’immensément petit
De son intensément grand
A soi
La pupille s’enfonce
Dans les replis de la mémoire
Jusqu’au grésillement lointain d’un babillage
Incertain
Les souvenirs déboulent et caracolent
S’entrechoquent et se moquent
Narguent le sablier
Pauvre prisonnier de sa courbe de verre
Un frisson mélange l’instant à l’avant
Melting-pot d’images fuyantes
Suis-je celle d’autrefois ?
Maintenant ?
Suis-je l’évanescence de mon reflet ?
En filigrane ?
Ai-je gardé l’infime nécessité de ma finitude ?
En pointillé ?
Fissurée, l’idée !
L’important est dans le déroulé
Je suis Ma continuité
Je suis le tout de mon rien
Et c’est déjà beaucoup
Beaucoup
J’ai aimé, j’aime et j’aimera
Comme une enfant
Du haut de ma citadelle
Humaine
Je suis ces Moi amoncelés dans un passé-pluriel
Etendu à l’extrême limite
De
Ma soixantaine
Soixante ans …
Un diamant sculpté au saphir
Le point de bascule
Dans l’irraisonnablement bon
De l’abandon
Soixante ans
Bourré à craquer
De chaleur et d’amour
De chair et de sang,
D’odeurs et de goûts,
D’éclats de rire, d’éclats tout court,
De coups durs, de coups du sort, de coups de chance
De sortilèges, d’émerveillements
Soixante ans
Quelques bougies soufflées
Dans le sens de demain
Sur les bonheurs à construire
Les prévenir qu’on débarque
Qu’on va leur chauffer l’derrière
Les booster pour rendre au temps beaucoup d’instant
Pour les parfumer
Au safran
Au cumin
Au carvi
Au fenouil
Au laurier
A la sauge
Au thym
- Comme certains savent si bien le faire -
A tout et … n’importe quoi
On s’en fout
Tant que ça sente bon
La vie
Les envies
Leur botter l’arrière train
Pour fossiliser la ride
Dans un pli rieur
Assise sur la pliure du temps
Les pieds trépignent
Cognent la roche séculaire
Un écho intérieur résonne
Des âmes vagabondent parties au loin
On mastique la seconde
Celle qui franchit les dizaines
Allègrement
On est nerveux
A fleur de peau
La chair en tension
L’esprit en ébullition
Mais
Foutaise existentielle
Le beau, le vrai
Le A-vivre,
Est au bout du regard
Sur la ligne d’horizon
Insubmersible
Et c’est poussé
Par les alysées des êtres chers
Que le cœur saigne la raison
Car la vie ne s’écoule pas
Elle se distille
A fortes doses
Dans des veines en partage cellulaire
Elle se bonifie en accomplissement
Le passé germe au futur
Et les passifs meurent dans les poussifs
A corps et à cri
La soixantaine nous bouscule
Explose l’éphémère sphère de nos repères
Affleure joyeusement l’universel
Elle chahute sans vergogne
Nos
Refaire
défaire
parfaire
flinguer
diluer
remanier
Jamais renier
J-a-m-a-i-s
On ne vieillit pas
On s’affermit
On s’affirme dans nos doutes
D’un recul désinvolte
Salvateur
On se patchworkise
On devient cette toile multicolore
Folle
Excentrique
Riche
Parfois monotone
Composée de bric et de broc
Pour un tout
En chic et en choc
Grandiose …
On se rapproche de soi
Tant on a accosté l’autre
On s’incertitude
Mais
Le pas plus sûr
Le menton droit
L’allure fière
La tête haute
Alors
Fonçons ensemble droit devant
Ajournons les jours nés
Jouissons de celles rêvées
Tout de suite
Le brillant en point de fuite
L’étincelant en ligne de mire
L’œil en coin
Assassinons la seconde
Noyons-là dans la minute
Guillotinons-là dans l’heure
Egrenons les bonheurs
Sans modération
A chaque pas
Immolons le noir
Dans le blanc des espoirs.